Mon 7 Octobre.
Nous sommes arrivés à la fête, Itamar (mon petit ami), Alon, Segev, Ayelet (les amis d’Itamar) et moi vers 5 h 30 du matin. Dès notre arrivée, nous nous sommes éparpillés et j’ai filé rejoindre mes amis venus du Sud avec une autre voiture. La fête se déroulait comme prévu et tout allait bien. Puis, alors que je discutais avec Gefen (une amie), elle m’a dit qu’elle recevait un tas d’alertes — Couleur Rouge — sur son application HML (= la sirène qui annonce les roquettes en provenance de la bande de Gaza). Soudain, nous avons commencé à entendre des tirs de roquettes et à les voir au-dessus de nous. Tout cela s’est produit environ une heure après notre arrivée à la fête.
J’ai immédiatement appelé Itamar pour savoir où il était et il se dirigeait déjà vers moi avec nos amis.
Je l’ai repéré, j’ai raccroché et nous avons commencé à marcher vers la voiture. Mon téléphone a composé accidentellement le numéro de ma mère, sans que je m’en aperçoive, ce qui l’a réveillée. Elle m’a immédiatement rappelée pour me demander pourquoi je l’avais appelée. Je l’ai prévenue qu’il y avait des alarmes et des roquettes ici et que nous allions essayer de nous éloigner de cette zone en voiture.
J’ai pris une photo pour un ami des interceptions du Dôme de Fer et des gens qui couraient. Aujourd’hui, je me rends compte qu’une des personnes sur cette photo se cachait avec moi dans l’abri où nous sommes restés plus tard dans la journée. Nous sommes tous remontés en voiture et nous avons roulé vers la route principale. C’était le chaos avec tous ces gens qui essayaient de fuir. Nous avons réussi à atteindre la route principale, espérant rouler vers le nord. Mais, les policiers avaient bloqué cette direction.
Je ne me souviens pas de ce qui s’est passé en premier : l’enlèvement des gens ou la fusillade. Je crois que c’était l’enlèvement. Ils ont pris des gens, les ont traînés et leur ont ordonné de sortir.
Nous n’avons pas eu d’autre choix que de se diriger vers le sud. Après avoir un peu roulé, je leur ai dit qu’à l’intersection du kibbutz Réïm il y avait un arrêt de bus et un Migunit (= petit abri en béton sans porte se trouvant le long des routes près de la bande de Gaza). Je me suis dit qu’il le plus sage était d’attendre dans cet abri pour éviter d’être touchés par des roquettes et attendre que les choses se calment. Je n’aurais jamais imaginé que des centaines de terroristes franchiraient la frontière pour assassiner, violer, décapiter, brûler et blesser des milliers de civils.
Nous sommes entrés dans l’abri et peu à peu, un nombre croissant de personnes se sont jointes à nous. Lorsqu’une sirène retentissait, nous regagnions l’abri, et le reste du temps, nous restions à l’extérieur.
Cette pensée m’a traversé l’esprit : « Je n’arrive pas à imaginer que les habitants de l’Otef (= les habitants des villages de la zone périphérique de la bande de Gaza) vivent comme ça tout le temps ». Nous étions de bonne humeur, nous avons ri et nous avons fait connaissance d’autres personnes. Soudain, nous avons commencé à entendre des coups de feu venant de Gaza et nous n’avons pas compris ce qui se passait. Un musulman très sympathique des environs se trouvait avec nous dans l’abri. Il venait de nous rejoindre et il nous a expliqué qu’il patrouillait dans la zone et que selon lui il y avait probablement une intrusion terroriste.
Quelqu’un est arrivé à l’abri et nous a dit que sa tante l’avait appelé et prévenu de ne pas se diriger vers le sud, car des terroristes tiraient là-bas sur tous les véhicules. C’est à ce moment que nous avons pris conscience de la nécessité de rester à l’abri. À l’intérieur, il y avait deux nids de guêpes, de la saleté, des déchets, et même des excréments humains.
Je me demandais simplement ce qui se passait à la mort et quand arriverait le moment où ma vie défilerait devant moi.
Peu après, un soldat de la compagnie antichars Orev de la brigade Nahal, nommé Aner, est venu nous voir. Il nous a informés que, selon ses amis, des terroristes tentaient de franchir la frontière, mais qu’ils étaient encore à assez loin. Il a ajouté que la base militaire de Réïm (l’une des plus grandes du pays) était proche et nous a conseillé de rester calmes. Je lui ai demandé « alors pourquoi on entend les tirs si près » ? Aner a expliqué qu’ils tiraient dans une zone ouverte, d'où la proximité auditive. Malgré la situation, j’ai tenté de garder espoir. Cependant, après un certain temps, Aner nous a alertés que les terroristes se rapprochaient et qu’ils se trouvaient au prochain virage à gauche sur la route du sud. Il était en contact avec quelques amis de son unité.
Nous nous sommes tous blottis autant que possible dans l’abri. Nous étions environ 25 personnes dans ce petit refuge. J’étais dans le coin le plus loin à gauche de l’abri, Itamar à côté de moi. Progressivement, nous avons commencé à entendre les terroristes qui approchaient à pied, à moto et en camion, en tirant et en criant.
Aner faisant preuve d’UNE BRAVOURE EXCEPTIONNELLE et étant l’un des plus proches de l’entrée a pris l’initiative suivante : si des grenades étaient lancées, il essaierait de relancer autant de grenades que possible et demanda à ceux qui se trouvaient à proximité aussi de le faire, au cas où il ne pourrait pas toutes les relancer lui-même. Dès que j’ai entendu les voix des terroristes, je me suis assise par terre, j’ai fermé les yeux et je me suis bouché les oreilles. Itamar a demandé à quelqu’un juste au-dessus de moi de me lâcher parce qu’elle m’étouffait. Nous étions tous conscients de la gravité imminente de la situation.
Je me murmurais sans cesse « Chut » pour calmer mon cœur qui battait à deux cents battements par minute. Nous avons essayé de rester le plus silencieux possible dans cet abri bondé. Lorsque nous avons entendu les terroristes s’approcher de l’entrée, quelqu'un a dit : « Dites le Shema Israël » (prière juive, Écoute Israël, l’Éternel est notre Dieu, l’Éternel est Un).
Autour de moi, des cris, des personnes mortes ou gravement blessées. Quelqu’un a hurlé qu’une femme n’avait plus de main.
Après cela, j’ai entendu le musulman sortir précipitamment et leur crier « Je suis musulman, je suis musulman », « ne leur faites pas de mal ». Il y a eu des cris entre eux et je ne sais pas ce qui lui est arrivé. Les terroristes ont alors commencé à lancer des grenades, des grenades assourdissantes (flashbangs) et ont même tiré un RPG dans le Migunit. Certaines des grenades assourdissantes ont explosé à l’intérieur de l’abri et tout semblait se passer au ralenti. Certaines détonations ont eu lieu près de l’entrée, d’autres juste à l’extérieur de celle-ci, et certaines personnes ont réussi à en relancer quelques-unes à l’extérieur. Je me suis dit : « Je ne veux pas mourir, je ne veux pas mourir ».
Cela s’est répété avec environ 8 à 11 grenades. Aner a fait preuve d’un instinct incroyable et d’actes de bravoure inimaginables en renvoyant la plupart d’entre elles, y compris une grenade ordinaire. Une ou deux autres ont également réussi à relancer une grenade. Mais l’une d’entre elles a explosé à l’intérieur. Dans cette explosion, j’ai ressenti comme une forme de mort. J’avais l’impression que mon corps se transformait en une petite créature, comme si quelqu’un me repliait sur moi-même, que j’étais aspirée dans un espace noir. Je ne voyais ni n’entendais rien, mais je me sentais en paix.
Je me demandais simplement ce qui se passait à la mort et quand arriverait le moment où ma vie défilerait devant moi. J’ai littéralement ressenti mon corps s’arrêter, je ne sentais plus les battements de mon cœur. Des voix dans ma tête me chuchotaient toutes sortes de choses, comme si des esprits me parlaient. J’avais l’impression de ne plus avoir de corps, tout semblait réduit à néant.
J’ai vu et ressenti une grande lumière s’élever de ma tête, comme si c’était mon âme. Soudain, j’ai entendu la voix d’Itamar résonner dans ma tête, me disant : « Reste avec moi, reste avec moi. » Je lui ai dit : « Itamar, je suis en train de mourir. » Il m’a répondu : « Non, tu es là, avec moi. » Lorsque je lui ai demandé : « Tu peux m’entendre ? », il a dit : « Oui ma belle, tout va bien. » Je lui ai répété : « Je ne peux plus tenir, je suis en train de mourir. » Il a à nouveau prononcé ces mots : « Tu es avec moi, reste avec moi. » Je lui ai : « J’ai peur que si je reviens maintenant, je ne redevienne pas celle que j’étais. » Itamar m’a à peine entendu dire cela et m’a suppliée de rester avec lui. J’ai alors senti mon âme revenir. J’ai ouvert les yeux et n’ai vu que de la poussière orange.
Autour de moi, des cris, des personnes mortes ou gravement blessées. Quelqu’un a hurlé qu’une femme n’avait plus de main. J’ai de nouveau fermé les yeux. Et une fois de plus, nous avons entendu les terroristes approcher. Ils ont commencé à crier. À ce point, je ne me souviens pas de ce qui s’est passé en premier : l’enlèvement des gens ou la fusillade. Je crois que c’était l’enlèvement. Ils ont pris des gens, les ont traînés et leur ont ordonné de sortir.
Chaque fois que nous entendions des voix à l’extérieur de l’abri, nous baissions la tête sous les corps et faisions semblant d’être morts.
Les gens ont crié qu’ils ne voulaient pas et ont essayé de les combattre. Puis, ils ont essayé de leur parler en arabe et en anglais, leur disant « Salam » et « please, no ». J’ai essayé de me faire le plus discret possible. L’une des filles qu’ils avaient prises a été ramenée à l’abri plus tard car ils n’avaient pas de place pour elle dans le camion. Elle a survécu. Plus tard, j’ai découvert qu’Alon avait également été kidnappé.
Après cela, les terroristes sont entrés et ont tiré partout. J’ai essayé de me faire toute petite et de faire la morte. J’ai rouvert les yeux pour m’assurer qu’Itamar était en vie et près de moi. Itamar m’a dit : « Ma belle, j’ai pris une balle dans la main » et, sans hésiter une seconde, malgré la douleur, il a appuyé dans la plaie ouverte pour arrêter l’hémorragie. Pendant tout ce temps, à l’extérieur des roquettes et les terroristes tiraient sur les gens. Les gens criaient, saignaient et mouraient.
Itamar a reçu une balle qui lui a transpercé le bras. Moi, j'ai été touchée à la jambe par une balle qui a probablement ricoché sur un mur ou sur quelqu’un devant moi, laissant un trou dans ma jambe, mais pas trop grand. Par la suite, j’ai retiré tous les bijoux que je portais car je me suis souvenue qu’il était déconseillé de porter des bijoux dans de telles situations, mais ils m’avaient déjà causé des brûlures. J’ai seulement oublié d’enlever le bracelet que ma mère m’avait offert avant que je ne m’engage dans l’armée, car je ne le retire jamais. Il m’a aussi brûlée, mais je suis heureuse de l’avoir gardé.
À partir de ce moment-là, nous avons essayé de rester aussi silencieux que possible pour que les terroristes ne reviennent pas nous tuer. Chaque fois que nous entendions des voix à l’extérieur de l’abri, nous baissions la tête sous les corps et faisions semblant d’être morts. J’ai essuyé tout le sang de mon visage, j’ai ôté mon t-shirt et je l’ai déchiré avec mes dents. J’ai essayé de faire un garrot pour Itamar, mais je n'étais pas assez douée pour ça et le t-shirt s'est déchiré. Itamar appuyait sur sa plaie autant qu’il le pouvait. Au début, nous pensions qu’il n’avait qu’une seule blessure à la main, mais plus tard, nous avons réalisé qu’il y en avait deux. Pendant tout ce temps, des corps sur nos jambes nous empêchaient de bouger. Nos amis et la plupart des personnes avec qui nous parlions et riions quelques instants auparavant gisaient à côté de nous.
À ce stade, Itamar pouvait à peine entendre à cause de toutes les explosions. Durant toutes ces heures, chaque fois que nous entendions quelqu’un s’approcher, nous essayions de déterminer s’il entrait dans l’abri ou s’il marchait simplement à l’extérieur. Nous avons entendu des dizaines de terroristes approcher, parler et crier. Les cinq personnes les plus proches de la sortie de l’abri avaient du réseau sur leur téléphone et ont tenté d’appeler à l’aide via des amis et la police. Ils ont appelé la police une vingtaine de fois. Au début, la police ne nous croyait pas, ensuite ils ont dit qu'ils ne pouvaient pas nous aider. Puis, ils ont dit qu’ils arrivaient, ce qui nous a donné un peu d’espoir, mais ils ne sont pas venus. Il se passait tellement de choses autour de nous que nous ignorions. Pendant tout ce temps, nous essayions de rester aussi silencieux que possible pour que les terroristes à l’extérieur ne rentrent pas.
Nos jambes étaient sous les corps et j’étais persuadée de ne plus avoir de jambe. Plus tard, lorsque j’ai pu la bouger, j’ai réalisé que j’avais bien une jambe et que ce que je croyais être ma jambe était en réalité une partie du corps de quelqu’un d’autre qui était sur moi. Après quelques heures, nous avons entendu un gros véhicule s’approcher et des gens en sortir. Nous avons entendu un gyrophare et quelqu’un crier : « Ici Magen David Adom (l’équivalent israélien de la Croix-Rouge). ». Ils se sont divisés en deux groupes pour tout inspecter. Nous avons entendu quelqu’un dire « Ne tirez pas sur tout ce qui bouge car il peut y avoir des personnes et des véhicules à nous par ici. » Nous avons décidé à l’unanimité que nous ne quitterions pas le refuge au cas où ce ne seraient pas vraiment des Israéliens.
Peu après, nous avons commencé à entendre des coups de feu. Je ne sais pas s'il s’agissait de tirs de terroristes ou de l’armée israélienne, mais les tirs provenaient toujours en direction de la Migunit. Nous avons attendu dix minutes, puis encore vingt. Le temps semblait s’être arrêté et personne n’arrivait. Pendant ce temps, nous essayions de rester optimistes, de respirer profondément, de nous sourire mutuellement. Nous n’avions pas du tout d’eau, les bouteilles que nous avions conservées avaient explosées à cause des tirs. Itamar et moi tenions fermement la plaie et nous arrêtions l’hémorragie chaque fois qu’elle reprenait.
Après une heure environ, nous avons entendu quelqu’un dehors demander : « Frère, as-tu une voiture ? » et son ami répondre : « Je ne trouve pas les clés », avec l’accent israélien le plus typique possible. Nous ne nous sommes toujours pas permis de sortir car nous avions peur qu’ils ne soient pas vraiment Israéliens. Environ vingt minutes plus tard, nous avons entendu deux personnes parler en arabe, c’était probablement eux. J’essayais constamment de penser comme un guerrier, me demandant ce qu’il aurait fait dans un moment pareil. Je pensais à mon frère, ou j’essayais de me mettre dans la peau des terroristes. Et je ne voyais aucune raison pour laquelle ils ne reviendraient pas vérifier leurs tueries, car après tout, leur intention était de nous éliminer au maximum.
Quelques heures plus tard, Itamar m’a dit qu’il pensait que son téléphone se trouvait quelque part sous moi. J’ai regardé et je l’ai retrouvé, couvert de sang. Je l'ai nettoyé avec nos vêtements, mais il n'y a pas eu de réseau pendant longtemps. Nous ne comprenions pas ce qui se passait à l'extérieur, nous étions totalement impuissants et ignorions tout de la situation. J’étais persuadée que si je sortais de l’abri, ils m’emporteraient à Gaza avec le Hamas. Soudain, pendant une seconde, nous avons commencé à recevoir des messages sur notre téléphone.
Nous recevions des messages de personnes inquiètes qui pensaient que nous étions en sécurité à Tze’elim ou Sa’ad se basant sur de fausses listes qu'ils avaient distribuées. Nous ne pouvions pas répondre car il n’y avait pas de réseau, mais nous avons envoyé des messages et des captures d’écran à ma mère, au père d’Itamar, et aux amis d’Itamar dans l’armée avec des informations personnelles. Ainsi, si par chance les messages étaient envoyés, ils comprendraient que c’était bien nous et non le Hamas.
Nous avons demandé à ceux qui étaient le plus proche de l’entrée de l’abri de tenir le téléphone quelques minutes, mais les messages ne partaient pas. Nous avons réessayé quelques minutes plus tard et les messages ont commencé à être envoyés. Beaucoup de personnes, des amis d’Itamar, les miens et les familles, nous demandaient où nous étions et d’envoyer notre localisation. Il était difficile d’envoyer notre position car il y avait peu de réseau, et nous ne pouvions pas parler au téléphone de peur que les terroristes dehors nous entendent. Les gens à l’intérieur ne voulaient pas non plus que nous parlions au téléphone.
Nous avons essayé d’expliquer que nous essayions d’être secourus. Pendant ce temps, des dizaines de voitures passaient près de nous. Nous entendions parfois des coups de feu isolés, beaucoup de détonations fortes et les sirènes Tzeva Adom. Nous avons essayé d’écrire notre localisation à autant de personnes que possible, d’expliquer notre position et de donner le nombre de personnes présentes. À un moment donné, j’ai entendu une femme crier. Je pense que cela venait du kibbutz.
À ce moment-là, j’ai entendu des bruits bizarres venant de l’extérieur, comme quelqu'un marchant près de l’entrée du refuge ou un animal qui semblait déchirer des journaux, ou encore comme si quelqu’un traînait des branches et des arbres jusqu’à l’entrée du refuge. Alors j'ai dit à Itamar que j’avais peur qu’ils allaient tous nous brûler vifs. Chaque seconde était donc importante.
Après une demi-heure environ, une voiture est arrivée et nous avons entendu des pas. Nous avons fait ce que nous faisions toujours en entendant des pas, c’est-à-dire faire les morts. Puis il y eut un silence. Ensuite, nous avons vu une main introduire un téléphone dans le refuge mais le retirer aussitôt au cas où des terroristes seraient à l’intérieur. Puis il a jeté un coup d’œil, et demandé s’il y avait quelqu’un. Nous avons levé la tête et tout le monde s’est mis à pleurer.
Tout le long de la route, nous avons vu des voitures ouvertes et des cadavres à côté. J’avais l’impression d’être dans un film d’horreur.
Sept d’entre nous ont survécu, Itamar et moi y compris. Je pense que seuls Itamar et moi avons été blessés et les cinq autres survivants bien qu’épargnés physiquement, doivent être profondément marqués psychologiquement. Tous ceux qui étaient capables de marcher ont quitté l’abri à pied. Tout l’abri était rempli de grenades, de cadavres, de sang et d’organes; il y avait une odeur épouvantable et beaucoup de mouches. Nous ne savions pas si les grenades risquaient d’exploser à tout moment ou si elles avaient déjà explosé. Une autre fille et moi ne pouvions pas nous lever.
Ma jambe me faisait terriblement mal à cause de l’impact de la balle. J’ai réussi à la libérer des corps mais je ne pouvais pas me lever, et les jambes d’une autre survivante étaient coincées sous les corps. Je lui ai tenu la main et je lui ai dit que nous étions ensemble et que tout irait bien. Pendant ce temps, nous entendions des coups de feu dehors et avions peur qu’ils ne nous tirent dessus à nouveau et que nous ne sortirions pas vivants d’ici. Eli (pseudonyme), un civil, et quelqu’un d’autre, un colonel, ont dit que tout irait bien.
Le colonel m’a soulevée pour me mettre dans la voiture alors que j’avais le torse nu. Il m’a immédiatement donné une chemise et une serviette pour me couvrir la poitrine. Quand ils nous ont fait sortir de là, je n’ai regardé ni à gauche ni à droite. Mes yeux étaient uniquement rivés sur le véhicule. Ils nous ont conduits à une station-service au carrefour de Be’eri où les survivants et les blessés étaient rassemblés. Pendant ce trajet, j’ai demandé à Eli (pseudonyme) s’il y avait un terroriste à leur arrivée ou si c’était l’un de nos soldats. Il a dit que c’était un terroriste. Heureusement que nous ne sommes pas sortis quand nous les avons entendus parler hébreu.
Tout le long de la route, nous avons vu des voitures ouvertes et des cadavres à côté. J’avais l’impression d’être dans un film d’horreur. Lorsque nous sommes arrivés au centre pour les blessés, une station-service au carrefour de Be’eri, on a dit à Eli de nous évacuer d’urgence à l’hôpital de Soroka. Quand nous sommes arrivés à Soroka, quelqu’un m’a prise en photo, l’une des médecins/infirmières sur place. Je me suis sentie tellement mal à l’aise que j’ai commencé à lui crier dessus pour qu’elle arrête de prendre des photos. Ils m’ont dit que c’était seulement pour l’identification mais je m’en fichais.
Après cela, ils ont bien pris soin de nous et ont tout fait pour s’assurer que nous allions bien. Mes mains étaient serrées, tous mes doigts étaient collés les uns aux autres, mon corps tremblait et se contractait à cause du traumatisme, je ne pouvais pas lâcher prise. Tout le long du chemin, Itamar m’avait protégée avec son corps. Nous nous sommes cachés derrière les corps des autres. Itamar me disait tout le temps de sourire et que tout irait bien.
Itamar et moi avons cette habitude de sceller nos promesses en entrelaçant nos petits doigts, pour tous ces vœux que nous espérons voir se réaliser.
Au début de cet événement, Itamar m’a fait le serment que nous en sortirions vivants et nous n’avons pas perdu espoir un seul instant. Je sentais que les gens priaient pour nous, mais je n’avais pas vraiment l’espoir qu'ils nous trouvent car il semblait que personne parmi les secours ne se souciait de nous. Nous étions convaincus que nous allions mourir là sans eau ni nourriture. Aujourd’hui, je suis à la maison, j’essaie de me remettre de tout ça et de faire face au traumatisme que j’ai subi. Au moindre boum, une voiture qui passe, et tant d’autres bruits, je regarde autour de moi et m’assure que tout va bien et que je suis protégée.
Même maintenant que j’écris cette histoire depuis plus de cinq jours, à chaque fois que je me rappelle un moindre détail, mon cœur bat la chamade et tout mon corps tremble.
Je n’ai que vingt ans. Quelqu’un peut-il me dire si ce que j’ai dû traverser à un sens, juste parce que je veux vivre paisiblement dans mon pays ? Est-ce normal de devoir gérer ce traumatisme toute ma vie ?
Certes, je suis généralement présente sur les réseaux sociaux, mais je n’avais jamais dévoilé autant d’informations, de sentiments et de fragilité. Je sais qu’il est important que le monde entende ce que nous avons vécu, et qu’il est également important pour moi de traiter ces informations et d’accepter ce que j'ai vécu. Je n’arrive pas à croire que plusieurs jours se sont écoulés depuis, c’est comme si c’était hier, mais maintenant nous sommes entourés de gens qui nous aiment et qui sont heureux de notre survie miraculeuse.
Aner S. de la compagnie antichars Orev de la brigade Nahal nous a sauvé la vie et mérite des remerciements particuliers pour avoir été notre ange gardien.
Itamar a perdu deux amis proches et l’un de ses amis a été kidnappé. Il a le corps couvert d’éclats d’obus et a une balle dans la main qui est ressortie de l’autre côté. Il a subi une intervention chirurgicale et en attend une autre. Ses deux tympans ont été perforés. J’ai des éclats d’obus dans la tête, le cou et le dos. J’ai des ampoules aux mains et un trou dans la jambe dû à une balle qui n’a pas réussi à pénétrer dans ma chaussure. Beaucoup de mes cheveux sont tombés, à la fois à cause du traumatisme, à cause du sang et de la poussière qui les ont collés en une seule masse. Les gens qui me connaissent savent à quel point je me soucie de mes cheveux et peuvent comprendre à quel point c’est difficile pour moi.
Bien sûr, je suis reconnaissante pour chaque seconde où je respire, c’est comme si j’avais reçu une nouvelle fois la vie. Au total, nous sommes restés dans l’abri pendant sept heures, de 7 h 20 à 14 h 19, impuissants, sans eau ni nourriture.
Je partage l’immense douleur des familles de tous ceux qui ont été assassinés. J’espère et je prie pour que les kidnappés rentrent bientôt chez eux.
Ayelet Arnin, Segev Israel Kizner, Aner Shapira, qu’ils reposent en paix.
Aloni, j’espère que tu reviendras bientôt vers nous ainsi que vers ta famille et tes amis qui t’aiment si fort, en bonne santé et entier, et que tu resteras optimiste et que tu tiendras bon.
Il manque beaucoup de choses dans mon récit. J’ai choisi de taire certains détails, soit parce que je ne pense pas que tout le monde doit les connaître, soit parce que ce n’est pas à moi de décider de les dévoiler. Je n’ai pas été témoin de tout ; j'ai souvent préféré fermer les yeux quand les terroristes étaient trop près de nous.
Je suis consciente que mon histoire est aussi celle des victimes, des disparus et des autres survivants. Pourtant, je relate les événements tels que je les ai perçus ou tels que j’ai choisi de ne pas les voir.
Si vous le pouvez, diffusez mon récit. Il est essentiel que le plus grand nombre de personnes de par le monde comprennent ce que nous endurons en Israël.
Agam Y.