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Témoignages de survivants

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Mon père, 62 ans, a combattu les terroristes pour nous sauver

Amir T.'s story

Mon père, 62 ans, a combattu les terroristes pour nous sauver

Au début, il n’y avait qu’un sifflement. Il était un peu plus de six heures du matin, et ma femme Miri s’est réveillée en entendant un bruit familier : un obus de mortier sur le point de tomber. Nous n’avons pas entendu la sirène d’alarme, mais c’était suffisant pour courir jusqu’à notre chambre sécurisée qui, dans notre maison au kibboutz Nahal Oz, est aussi la chambre de nos filles. Galia, trois ans, et Carmel, un an, sont allongées dans leurs lits. Elles rattrappent des heures de sommeil après une merveilleuse journée de randonnée dans notre belle région. On ne voulait pas les réveiller, mais on a commencé à faire nos valises. On pensait que ce serait comme d’habitude : tirs de roquettes, organisation dans la chambre sécurisée et départ avec les filles vers le centre du pays.

Vers sept heures du matin, alors que sirènes d’alarme et explosions ne cessaient pas de retentir, on a entendu pour la première fois un bruit à glacer le sang, celui de tirs à l’arme automatique. Des rafales. D’abord au loin, dans les champs, puis plus près, sur la route, et carrément dans notre quartier et à côté de la fenêtre. Et aussi, des cris en arabe. On a tout de suite compris ce qui se passait : notre pire cauchemar était devenu réalité. Des combattants armés du Hamas s’étaient infiltrés dans le kibboutz, et ils se tenaient là sur le pas de notre porte, alors que nous étions enfermés dans notre maison avec nos filles.

Nous avons déménagé à Nahal Oz il y a neuf ans, juste après l’opération Bordure Protectrice. Nous avons été attirés par cet endroit pour plusieurs raisons,un sens de l’aventure, le sionisme et le désir de vie communautaire. C’était une décision inhabituelle : un jeune couple de Tel-Aviv qui choisit de déménager dans un kibboutz à la frontière de Gaza.

Les alertes rouges en 2022 à Nahal Oz ne nous ont pas fait oublier les énormes avantages de la vie communautaire dans le kibboutz.

Nos familles étaient fières de notre décision, et Nahal Oz est devenue notre maison. C’est là que nous nous sommes mariés en 2016, à la piscine qui se trouve à quelques centaines de mètres de la barrière frontalière. Nous y sommes également retournés après ma mission de trois ans aux États-Unis, en tant que correspondant du journal Haaretz à Washington. La décision de retourner au kibboutz en 2020 était encore plus importante que notre décision initiale de nous y installer : c’était un choix sans équivoque de faire de ces allées pastorales, des belles pelouses et de cette communauté de Nahal Oz, notre maison. Pour toujours.


Vers sept heures du matin, alors que sirènes d’alarme et explosions ne cessaient pas de retentir, on a entendu pour la première fois un bruit à glacer le sang, celui de tirs à l’arme automatique.

Nous avons connu d’innombrables alertes rouges au cours de nos années au kibboutz. Nous avons connu également la menace de ballons explosifs et l’odeur de fumée des incendies dans les champs. Rien de tout cela n’était assez menaçant pour nous faire oublier les énormes avantages de la vie communautaire de la vie au kibboutz, en particulier pour deux petites filles qui se rendent à pied à la maternelle tous les jours, puis courent acheter une glace à l’épicerie. En ce qui nous concerne, en dépit de tout, nous avons vécu un rêve. Mais à cet instant-là, nous faisions face à une menace complètement différente, une menace qu’on nous avait promis d’empêcher.

Quand nous avons emménagé au kibboutz, le mot le plus effrayant était « tunnel ». Mais le gouvernement a investi des milliards de shekels dans une «barrière » souterraine conçue pour neutraliser cette menace et nous permettre de dormir la nuit. Samedi matin, nous avons réalisé que cet obstacle est "la ligne Bar Lev*" de notre génération, et nous étions maintenant au en pleine catastrophe de la guerre du Kippour. Israël avait déversé une mer de ciment dans les profondeurs de la terre, et le Hamas franchissait la barrière frontalière avec des tracteurs et des camionnettes.

Au début, l’électricité a été coupée. Le monde est devenu sombre. On a utilisé nos téléphones portables pour l’éclairage, et en même temps nous lisions les messages des voisins dans notre groupe WhatsApp. Les terroristes circulaient sans aucune entrave entre les maisons. Ils ont fait irruption dans certaines maisons. Ils ont canarder la nôtre. Nos filles ont été réveillées par le bruit. On leur a expliqué que nous devions nous taire, nous allonger dans le lit et attendre. À notre grand étonnement, elles ont pleinement coopéré, faisant preuve d’une maturité que nous ne croyions pas possible à un si jeune âge. On n’avait pas de nourriture dans la chambre sécurisée, ni de lampe torche. Résidents du Nord qui lisent actuellement cet article - s’il vous plaît, équipez-vous à l’avance pour tout scénario possible. Ne vous retrouvez pas dans la même détresse que nous.

La réception cellulaire a également commencé à disparaître. Dans un des rares moments où il était encore possible de communiquer, j’ai informé mes parents de notre situation, ainsi que mes collègues Amos Harel et Yaniv Kubovich, qui couvrent le domaine militaire pour le journal Haaretz. Je leur suis reconnaissant à tous les deux pour les efforts qu’ils ont déployés tout au long de la matinée pour informer les principaux officiers militaires des événements à Nahal Oz. Mais les informations qu’ils m’ont données, du monde extérieur, m’ont fait comprendre à quel point notre situation était grave. Ce qui s’est passé à Nahal Oz s’est produit dans plusieurs villes, kibboutzim et bases militaires. Nous avons réalisé qu’il faudrait beaucoup de temps pour que quelqu’un arrive. Pendant ce temps, à l’extérieur de la fenêtre verrouillée, le bruit des tirs continuait.

Cela a été difficile, des heures d’incertitude angoissantes. On ne savait pas ce qui se passait dans le kibboutz, et on ne se voyait pas dans le noir à l’intérieur. Les filles étaient des héroïnes. Elles sont restées couchées dans un silence parfait, sans nourriture, et ont attendu. De temps en temps, elles demandaient à ouvrir la porte et à sortir pour jouer dans le salon, et nous leur expliquions patiemment que ce n’était pas possible car c’était dangereux dehors. On ne savait pas si les terroristes avaient réussi à s’introduire dans la maison. Soudain, nous avons entendu un drone au-dessus de nous, et de fortes explosions. On espérait que c’était l’armée de l’air qui tirait sur les terroristes postés dans notre quartier, mais nous n’avions aucun moyen de le savoir.

Un message au téléphone nous a donné une lueur d’espoir : mon père, général réserviste, Noam, 62 ans, nous a écrit qu’il venait. Comment il arriverait, nous ne le savions pas. Mais tout comme nos filles nous ont fait entièrement confiance dans ces heures fatidiques, nous avons décidé de faire confiance à mes parents. Ce n’est que plus tard, dans la soirée, que j’ai appris ce qu’eux-mêmes avaient vécu ce jour-là. Le nombre de personnes qu’ils avaient aidé à sauver et la bravoure dont ils avaient fait preuve sur leur route jusqu’à nous.

Dans un premier temps, ils sont arrivés au kibboutz voisin Miflassim et ont vu des corps, et des voitures brûlées sur la route. Soudain, des personnes sont apparues devant eux, fuyant avec peine les terroristes du Hamas qui avaient attaqué une Rave Party du côté de Beeri. Ils les ont conduits vers le nord et ont repris la route vers Nahal Oz. Mon père a rencontré un groupe de combattants qui se tenaient immobiles sur la route, attendant des instructions. Il a dit qu’il avait vu une confusion et un chaos complets dus au manque de communication avec les niveaux supérieurs de commandement. L’un des soldats a accepté de l’accompagner en direction à Nahal Oz. Ma mère est restée à Miflassim et les deux hommes ont continué leur route.

Près de l’entrée du kibboutz, ils ont vu une lourde fusillade entre les combattants Magellan en route vers Nahal Oz et les terroristes. Mon père et le soldat qui l’accompagnait, Avi Zafarani, sont sortis de la voiture, ont rejoint les combattants et aidé à éliminer les terroristes. Ils ont ensuite chargé deux combattants blessés dans leur voiture et sont retournés à Miflassim. Là, spontanément, mes parents ont décidé de se séparer pour que ma mère évacue les blessés à Ashkelon, tandis que mon père essayait à nouveau d’arriver à Nahal Oz. Cette fois, il a été rejoint par le général réserviste, Israel Ziv, qui, comme mon père et l’ancien chef d’état-major adjoint Yair Golan, a revêtu son uniforme et est arrivé sur les lieux comme le dernier soldat réserviste pour tenter de sauver des vies.

À l’entrée de Nahal Oz, ils ont rencontré les forces Magellan et une patrouille de parachutistes, qui s’étaient réparti les zones du kibboutz pour y patrouiller et purger le kibboutz des terroristes. Mon père s’est joint à un groupe de soldats Magellan qui ont commencé à aller de maison en maison, tuant au moins six terroristes et faisant sortir des dizaines de personnes de leurs chambres sécurisées après plus de dix heures. Certains voisins et membres du kibboutz ont été choqués de reconnaître « le père d’Amir »parmi les soldats venus les secourir. Ils nous ont envoyé des textos, mais à ce moment-là nos téléphones étaient déjà éteints. Le seul indice que nous avons eu qu’ils approchaient était les coups de feu qu’on entendait chaque fois que les combattants rencontraient des terroristes du Hamas.

La dernière heure dans la chambre sécurisée a été la plus difficile de toutes. L’obscurité était de plus en plus épaisse, l’air commençait à manquer, et les filles à demander de plus en plus souvent à sortir. La seule chose qui les a calmées était notre promesse que leur grand-père était en route. Vers quatre heures, on a frappé à la fenêtre, et entendu une voix familière. Aussitôt, Galia s’est écriée : « Grand-père est arrivé! » Pour la première fois depuis le matin, nous avons tous éclaté en sanglots.

Au cours des heures qui ont suivi, notre maison est devenue un poste de commandement. Des soldats entraient et sortaient, amenant des voisins blessés, des familles dont les portes des maisons avaient été détruites pendant les recherches et des amis âgés qui ne voulaient plus rester seuls. La solitude dans la chambre sécurisée a été remplacée par l’excitation des retrouvailles. Mais la joie a été de courte durée. À chaque nouvelle famille qui venait chez nous, nous apprenions une nouvelle pleine de douleur, d’horreur et d’anxiété. Tués, disparus, blessés. L’ampleur du désastre qui nous avait frappés, celui de nos communautés voisines et de l’État d’Israël, est devenue plus claire.

D’un rapide coup d’œil à l’extérieur de la maison, j’ai aperçu les corps de cinq terroristes, l’un d’eux portait un lance-roquettes. La mort était plus proche que nous l’avions pensé, même dans les moments les plus difficiles. Mais le soir, quand nous avons préparé le dîner pour 12 enfants avec une des voisines, nous ne l’avions pas encore intériorisé. Ce n’est que plus tard, au milieu de la nuit, dans le bus qui a évacué les habitants du kibboutz loin de la frontière que nous avons réalisé et compris.

Nahal Oz est devenu un symbole après l’assassinat de Roy Rothberg en 1956 par des terroristes et le célèbre discours que Moshe Dayan a prononcé sur sa tombe. Un symbole de détermination, de résilience et de dévouement. Pour nous, c’était simplement une maison, un endroit sûr, aimé, accueillant, avec les gens que nous aimons le plus au monde. Encore jeudi, deux jours avant la catastrophe, nous avions reçu des amis de la région de Tel-Aviv, qui étaient tombés amoureux de nos espaces verts. Mais dans cette guerre, quelque chose s’est fissuré. Avant, le contrat entre nous et l’État était clair : nous gardons la frontière, et l’État nous protège. Nous avons fait notre part avec courage. Pour trop de voisins et d’amis bien aimés, le samedi noir du 7 octobre, l’État d’Israël n’a pas fait la sienne.

*Chaîne de fortifications censée protéger le pays dans le Sinaï, qui s’est avérée inutile pendant la guerre du Kippour


Amir T.


Source: Haaretz

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