Je suis allée travailler avec ma copine Liron, au bar de la fête. Nous avons passé toute la nuit et la matinée suivante ensemble et nous sommes follement amusées. Il y avait un magnifique lever de soleil et nous nous dirigions vers la caravane pour nous asseoir, boire un café et nous reposer.
C’est alors que les tirs de roquettes ont commencé. La musique s’est arrêtée et nous avons attendu que la salve de roquettes s’arrête pour pouvoir rentrer chez nous. C’est à ce moment que mon amie Bar m’a appelée et m’a dit qu’on leur tirait dessus, ainsi que sur tous ceux qui circulaient sur la route. Liron et moi avons couru vers la police pour essayer de leur faire envoyer des renforts, et là nous avons réalisé que les terroristes étaient proches.
C’était le chaos le plus complet. Nous étions tous assis par terre. Certains pleuraient et d’autres criaient, certains avaient des crises de panique et d’autres étaient complètement muets. Et tout comme dans notre relation, j’ai serré dans mes bras ceux qui pleuraient et ceux qui avaient du mal à respirer. Et Liron — c’est bien du Liron ça — a secouru les blessés pendant que nous étions sous les tirs.
Nous nous sommes mis à marcher, entourés de centaines de cadavres, de sang et de morceaux de corps éparpillés.
Les tirs se rapprochaient de nous. Les policiers qui se tenaient prêts près de la porte, armes à la main, se sont regardés d’un air terrifié et ont dit : « Allons-y ». Ils se sont tournés vers nous et nous ont dit : « Priez et courez ». Ils sont sortis en trombe et sont tombés les uns après les autres. Ils ont tiré des rafales de balles dans notre conteneur et, pendant un instant, ce fut le silence au sein de la tempête. Nous avons couru à travers champs — je me suis retournée et j’ai vu Liron. Elle n’est pas venue avec nous. Nous avons couru comme des dératés pour sauver notre peau et sommes arrivés à l’ambulance qui se trouvait dans le coin. Nous nous sommes cachés derrière pendant que les tirs venaient de tous côtés. Quelqu’un devant moi a crié : « Venez ici, c’est plus sûr ici », alors j’ai couru vers lui. Personne ne m’a suivie.
Nous avons commencé à courir et nous avons vu une voiture approcher. C’était l’un des participants à la fête et il nous a dit : « Montez en voiture, je vais vers la route principale, on va s’enfuir, vite ». Nous sommes montés dans son véhicule, il a démarré et ils ont commencé à nous tirer dessus. Il a fait demi-tour pendant qu’ils nous tiraient dessus. Il est retourné dans les champs et sa voiture s’est enlisée dans le sable alors qu’ils tiraient encore. Nous nous sommes mis à courir et l’homme qui conduisait la voiture a disparu.
Il s’est mis à genoux et a encore crié, pleuré et supplié qu’ils l’épargnent et puis il n’a plus crié. Ils l’ont assassiné sous mes yeux.
Je suis restée seule avec l’autre gars. Nous avons continué à courir et il a aperçu une fosse. Nous sommes descendus dans la fosse, nous nous sommes donné la main et avons prié. Je lui ai dit : « Tu connais les histoires de la Shoah où les gens faisaient semblant d’être morts, et c’est comme ça qu’ils sont passés inaperçus ? C’est ce qui nous arrive. » Il nous a recouverts de sable et nous sommes restés silencieux pendant environ une heure. C’est alors qu’on a entendu des pas approcher. Nous avons prié. Ils nous ont découverts. Ils étaient huit.
J’ai fermé les yeux parce que je pensais qu’ils allaient nous tirer dessus, mais ils nous ont sortis du trou, ont pris nos téléphones et tout ce que nous avions dans nos poches et ont annoncé : « Nous avons deux otages de plus ». L’un d’eux a commencé à me parler en arabe et je lui ai dit que je ne le comprenais pas. Je n’ai pas crié, je n’ai pas résisté, je suis devenue apathique. Il m’a mis sa veste sur le dos pendant que tous les autres me regardaient comme un morceau de viande parce que je ne portais qu’un débardeur. Il m’a mis un chapeau sur la tête et m’a prise par la main. Il me tenait la main d’une main et dans l’autre il avait un RPG. Nous avons commencé à marcher. J’ai vu qu’ils cherchaient des choses aux alentours, du genre cigarettes et alcool, alors je les ai aidés et je leur en ai trouvés. Je n’ai pas essayé de résister. J’étais momifiée.
Le gars qui était avec moi a supplié qu’on lui laisse la vie sauve et pleurait. Je lui ai dit « Ne pleure pas, tu vas les énerver, tout ira bien ». Au début, il m’a écoutée. Certains d’entre eux tenaient des couteaux, d’autres des marteaux. Il s’est mis à genoux et a encore crié, pleuré et supplié qu’ils l’épargnent et puis il n’a plus crié. Ils l’ont assassiné sous mes yeux.
Je suis restée seule avec eux. Toutes les quelques secondes, l’un d’eux me frappait avec une planche de bois, juste pour m’humilier. Un autre tenait un couteau et toutes les quelques secondes s’approchait de moi avec. Mais le terroriste qui me tenait la main leur a crié dessus et m’a prise sous sa protection.
Ils ont assassiné mon âme et j’espère pouvoir la guérir un jour. Mais ils ont assassiné mon amie, ma Liron, mon héros, et personne ne pourra jamais la ramener.
Nous nous sommes mis à marcher, entourés de centaines de cadavres, de sang et de morceaux de corps éparpillés. Nous sommes arrivés à une voiture. Je me suis redressée et j’ai cherché le gars au couteau pour me suicider avant qu’ils puissent me charger dans la voiture. La voiture n’a pas démarré. Nous avons continué à marcher et le terroriste au couteau, celui qui venait d’assassiner mon compagnon m’a menacée : « Si tu essaies de t’enfuir, je te tuerai comme j’ai tué ton ami ». Je suis restée debout et le terroriste qui me protégeait m’a dit : « File ». Je me suis mise à courir, j’ai jeté un coup d’œil derrière moi et j’ai vu qu’ils ne pointaient pas d’armes sur moi. J’ai couru comme une folle.
Je me suis cachée sous la scène, je me suis allongée à côté de trois cadavres. J’ai pris un peu de sang qui coulait du cadavre à côté de moi, je l’ai étalé sur mon visage et je suis restée allongée comme si j’étais morte pendant trois heures qui m’ont semblé une éternité. Trois heures avec des terroristes qui tiraient de partout, mettant le feu tout autour de moi, et avec des missiles au-dessus de moi, trois heures pendant lesquelles je suis restée allongée parmi des cadavres, essayant de me protéger, trois heures pendant lesquelles je pensais que j’étais la seule survivante. Soudain, j’ai entendu de l’hébreu. J’ai crié à l’aide. C’était l’armée. Ils m’ont emmenée dans une caravane où se trouvaient des ambulanciers et d’autres survivants. Mais les tirs continuaient. J’étais entourée de blessés et de visions que je ne décrirai pas ici.
Ils ont assassiné mon âme et j’espère pouvoir la guérir un jour. Mais ils ont assassiné mon amie, ma Liron, mon héros, et personne ne pourra jamais la ramener.
May H.