Comment avons-nous réussi à nous enfuir ? Sommes-nous partis à temps ? Ce sont les premières questions que tout le monde me pose.
À la seconde question, je réponds que partir à temps c’est simplement ne pas être là lorsque ça arrive.. Ce qui n’était malheureusement pas le cas dans mon histoire.
Comment avons-nous réussi à fuir ? C’est une question qui nécessite une explication plus longue… et qui, pour une raison ou pour une autre, donne l’impression que nous avons agi efficacement.
Alors qu’en fait, la réalité est que les miracles se sont succédé, que chaque décision que nous avons prise, et nous avons pris là-bas une décision toutes les minutes, se sont avérées les bonnes puisqu’elles nous ont permis d’éviter la mort.
miracles se sont succédé
Au départ, il y avait un magnifique lever de soleil avec de la musique, le sang bouillonne et le corps est envouté. Une aube comme un crépuscule, belle à couper le souffle. Ce fut la dernière fois que je me suis sentie fière de moi pour avoir amené mes amies à cette fête
Nous sommes allées chercher des lunettes de soleil dans la tente., j’ai dit à Yaël que j’avais envie de me déconnecter de tout et de me laisser porter par la musique. Les lunettes de soleil peuvent aider à cela.
Yonit est venue avec nous.
En chemin vers la tente, une série d’explosions dans le ciel a commencé, je n’en avais jamais entendu de pareilles jusqu’à ce moment-là.
J’ai regardé Yaël qui m’a répondu avec son flegme habituel « des pétards ma chérie »
Je lui ai répondu : « on part ».
Yonit nous informe que Tamar et Yfat sont sur la piste.
Une première décision intelligente avec du recul — Nous sommes allées les chercher toutes ensemble. Je ne sais pas où serait mon cœur aujourd’hui si nous n’avions pas agi unies.
De retour à la tente, nous avons ramassé nos affaires avec une efficacité militaire. En 3 minutes tout était réuni et nous avions nos sacs sur le dos.
Pendant que nous ramassions nos affaires, les organisateurs du festival sont montés sur scène et ont annoncé que la fête était terminée. Ils l’ont dit calmement et ont même pris le temps de se déplacer parmi les gens pour vérifier que tout le monde ramassait ses affaires.
Ayant assisté au festival d’Arad, je peux dire que la différence était notable.
Nous avons commencé à nous diriger vers le parking. Nous sommes toutes mères de 2 enfants au moins et le fait de devoir absolument rentrer à la maison était sans appel.
En chemin vers la sortie, Yaël a réalisé qu’ils avaient ouvert la barrière du milieu pour permettre au plus grand nombre de véhicules une sortie plus rapide et organisée.
Merci aux organisateurs du festival pour cela aussi.
Yaël et moi sommes montées dans notre voiture, Tamar, Yfat et Yonit dans celle de Yonit.
Yonit et moi conduisions. Cela me rassurait parce que Yonit même sous pression est la femme la plus calme que je connaisse.
Je savais qu’elle veillerait sur les filles tandis que je veillerais sur Yaël.
Nous avons commencé à rouler. Il y avait un petit bouchon à la sortie et quelqu’un a commencé à me hurler et à m’insulter pour que j’avance, alors que moi j’avais juste peur d’écraser quelqu’un.
J’ai voulu lui crier dessus, mais Yaël m’explique que j’aurais le temps plus tard de me conduire comme une sauvage, mais que maintenant il fallait avancer.
J’ai commencé à manger compulsivement tout ce que nous avions apporté pour la fête. Je ne me calme que lorsque je mastique. .
Les personnes dans les voitures autour de nous ont éclaté de rire de me voir manger dans un moment pareil et j’étais heureuse d’avoir réussi à les faire sourire. Nous sommes sorties du bouchon et avons atteint la route. Le policier m’a dit de rouler vers le sud en direction d’Afikim.
J’ai roulé vers le nord comme Waze le suggérait. Je suis incapable de dire si c’était une décision judicieuse ou non, mais nous sommes à la maison aujourd’hui.
Nous avons roulé 10 minutes puis les voitures qui nous précédaient ont été bloquées.
J’ai vu des morceaux de métal tomber sur la route et des gens qui nous hurlaient de faire demi-tour. Nous avons compris que la route devant nous était barrée.
Nous avons fait demi-tour. Nous avons roulé vers le sud pendant 20 minutes, et là encore, nous avons dû faire faire demi-tour. Je me suis sentie comme un rat pris au piège.
Je me suis sentie comme un rat pris au piège.
Les policiers n’avaient pas l’air d’en savoir plus que nous, malgré toute leur bonne volonté et leur envie de nous protéger. Ils avaient l’air perdus et stressés. Nous avons rebroussé chemin sur la même route.
Nous avons vu Tamar, Yonit et Yfat se diriger vers un abri sécurisé. J’ai demandé à Yaël — nous aussi ?
Elle m’a répondu : « Va à la maison ! » Encore une décision qui, avec du recul, s’est avérée être la bonne.
Après 4 demi-tours et une frustration grandissante, je me suis retrouvée à nouveau au portail de sortie de la fête duquel j’étais sortie il y avait presque une heure. Coincée dans un bouchon.
Yaël me dit « Il y a des coups de feu, tu les entends ? » Je les entendais…
J’ai vu une voiture de police foncer à travers champs.
J’ai pensé qu’ils nous indiquaient un chemin pour sortir de la route. Je l’ai suivie.. Ce n’était pas simple. J’étais au milieu de beaucoup de voitures. J’ai fait comme pour sortir d’un stationnement à Tel-Aviv avant arrière, avant arrière. J’ai pratiquement fait demi-tour sur place et nous sommes partis derrière la voiture de police.
Pendant une de mes manœuvres, j’ai entendu Yonit me crier que j’avais heurté sa voiture. J’ai vu que sa voiture n’avait rien et je lui ai dit que l’on ferait un constat à Tel-Aviv.
Yonit, Tamar et Yfat sont sorties de la voiture et sont descendues sous un pont.
Le lendemain, Yaël me racontera que je n’avais pas simplement décidé de faire demi-tour. En fait, les passagers des voitures devant nous avaient commencé à sortir en courant dans notre direction, en criant qu’on leur tirait dessus (les véhicules qui étaient vraiment proches de nous). Je n’avais aucun souvenir de ce moment, tout ce que j’avais en tête était que nous devions arriver à la maison !
Yaël et moi avions déjà décidé que nous rentrerions en voiture. Nous avons coupé à travers champs, la voiture de police avait disparu de mon champ de vision. J’ai commencé à rouler derrière d’autres véhicules. Tous allaient dans des directions différentes, il n’y avait pas de logique, il n’y avait pas de chemin, chacun faisait ses propres choix (dans l’espoir qu’ils les ramèneraient chez eux).
À l’un des tournants, 3 personnes sont montées dans notre voiture ; ils sont ressortis deux minutes plus tard.. Une seconde plus tard, deux filles nous ont demandé de prendre avec nous leurs deux passagers parce qu’elles n’avaient plus d’essence.
Je leur ai proposé de venir aussi avec nous, mais elles nous ont dit qu’elles allaient bien. J’ai remercié Dieu d’avoir pour une fois le réservoir d’essence plein !!!
Je rêve de savoir si ces deux filles vont bien. Le couple qui est monté avec nous venait d’Eilat et était extrêmement angoissé.
La fille hurlait au téléphone et je l’ai suppliée de se taire parce qu’elle me déconcentrait ! Elle essayait d’appeler la police pour qu’elle vienne les sauver et tout ce à quoi je pensais c’est qu’elle était en train de stresser la personne qui essayait de la sauver, alors même que la police qui ne viendrait jamais.
Nous avons continué à tourner à droite et à gauche — entre « je ne sais pas où nous sommes » et « je ne sais pas vers quelle direction ». J’ai compris que j’étais sur des chemins agricoles et qu’ils menaient certainement quelqu’un chez lui, en fin de journée, dans quelque village que ce soit !
J’ai décidé de rester sur ces chemins. C’était terrifiant. Tout n’était que poussière, on ne voyait rien, le champ était à découvert et nous étions des cibles.
Ma plus grande peur était que l’on s’enfonce dans la terre et que l’on reste bloqué.
Yaël veillait grâce à la carte routière à ce que l’on se dirige vers l’Est ! Parce que le festival était à l’ouest. Et moi, qui étais persuadée que l’on ne tirait sur nous qu’au festival.
J’ai compris que ce qui s’était passé au festival commençait à être médiatisé en recevant les premiers messages de mes proches qui voulaient s’assurer que j’allais bien.
J’ai répondu à tout le monde que j’allais bien, mais que j’essayais de nous sortir de là et que je ne pouvais pas parler. Alors que dans mon cœur, je savais qu’à chaque minute la réponse que je donnais pouvait se changer en un mensonge. À chaque tournant où nous n’étions pas tuées, je respirais et chaque nouveau tournant me coupait la respiration.
Nous avons vu une jeep blanche pleine de monde qui se retenait par les côtés — nous étions persuadés qu’il s’agissait de terroristes.
En nous approchant, nous avons vu que c’était des jeunes de la fête.
Le lendemain, Yaël et moi nous sommes demandées si nous avions vu des otages ou des rescapés.
Tout n’était que poussière, on ne voyait rien, le champ était à découvert et nous étions des cibles.
Et nous étions soulagées de ne pas avoir été prises pour cible.
Un véhicule était bloqué sur le côté du chemin et quelqu’un nous faisait signe de nous arrêter ; Yaël me dit de mettre les gaz et avec raison. Nous ne savions pas qui il était. Alors que nous approchions d’eux, nous avons compris qu’ils étaient à la fête.
Leur voiture était bloquée — il leur est arrivé ce que j’appréhendais.
Je leur ai proposé de monter dans la voiture… Ils ont commencé à argumenter entre eux pour savoir qui monterait et qui resterait.
Personne ne voulait prendre la place de quelqu’un qui pourrait être sauvé. Je n’ai jamais vu une telle humanité.
Je leur ai hurlé que quelqu’un devait monter et Yaël a ajouté que les autres monteraient l’un après l’autre dans les voitures suivantes et de ne pas tenter de partir en groupe (je rêve de savoir s’ils vont bien).
Daniel de Holon est monté dans la voiture, il parlait avec une amie au téléphone.
Elle lui racontait que son compagnon et l’ami de celui-ci avaient été tués à côté d’elle et qu’elle saignait. Personne n’était venu les aider. Elle suppliait que quelqu’un vienne arrêter l’hémorragie.
J’ai dit à Daniel qu’il devait raccrocher et qu’elle devait absolument appeler la police.
Il m’a répondu que je ne comprenais pas, je lui ai dit que si, mais que je conduisais et qu’il m’angoissait. J’avais besoin de moins d’émotions et d’autant de calme que possible afin de me concentrer.
Il a compris ce que je demandais et a obéi.
À ce stade, il n’arrive pas à croire qu’il a laissé ses amis derrière lui. Moi, j’étais juste heureuse qu’il soit en vie. Yaël continue à nous orienter vers l’Est.. Le copain de Yaël était chez lui et elle lui a envoyé une localisation en direct. Il nous a éloignés des événements de tirs grâce aux informations de Tseva Adom qu’il avait sur son écran. Nous formions une petite unité autonome.
Yaël a aussi envoyé notre localisation en direct à Yonit, Tamar et Yfat et leur a lu les panneaux que l’on rencontrait en chemin pour qu’elles prennent la même direction que nous.
La voiture de Yonit s’est arrêtée et n’a plus bougé pendant 10 minutes, Yaël et moi n’arrivions plus à respirer. Nous avons téléphoné à Yogev et lui avons demandé de contacter Yonit et Tamar de suite et nous dire si elles allaient bien.
Nous étions toujours en fuite. À cet instant, je n’arrivais pas à comprendre pourquoi j’avais trois étrangers à l’arrière de ma voiture alors que mes trois amies n’étaient pas là.
J’avais peur qu’un sentiment de culpabilité me poursuive pour toujours.
Yonit a réussi à enregistrer un message vocal sur notre groupe d’amies, elles étaient dans un bunker à Tsééelim. Elles avaient été secourues par des soldats et elles avaient également fait monter 6 personnes à l’arrière de leur voiture.
Nous avons réussi à sortir Route 6. La fille d’Eilat nous a demandé de nous arrêter pour une pause pipi. Yaël et moi l’avons regardé « dans quel monde vis-tu ? Non, nous ne nous arrêtons pas ! »
Lorsque je suis arrivée vers Kyriat Gat, j’ai réalisé qu’Ashkelon était devant nous et que je suis peut-être dans l’un dans le dernier endroit sûr, avant d’entrer dans un nouvel enfer inconnu.
Nous avons fait une pause puis continué notre route.
Il y avait des nuages de fumée noire dans le ciel devant nous.
Nous étions alors en sécurité, mais nous ne le ressentions absolument pas.
Nous étions alors en sécurité, mais nous ne le ressentions absolument pas.
Nos passagers nous ont demandé de les déposer à différents endroits en chemin afin de rejoindre leur domicile. Yaël et moi n’avions pas traversé tout cela pour prendre le risque de ne pas arriver auprès de nos enfants.
Je leur ai dit que le prochain arrêt serait la station de police de Kibboutz Galouyot à Tel-Aviv et nous nous y sommes tenus.
Ils sont sortis de la voiture. J’ai déposé Yaël chez elle, je suis arrivée dans ma rue, je me suis garée, la voisine m’a vue complètement sous le choc et est descendue me prévenir que la guerre avait commencé.
Mon état de sidération était croissant. Je suis arrivée chez moi, j’ai allumé la télévision et mis la chaine des informations pour la première fois depuis 10 ans.
Les sirènes ont retenti, mais je n’ai pas réussi à me lever du canapé. Tout a été réduit à néant.
J’ai dit à tout le monde que j’allais bien parce que je n’avais pas une égratignure.
Heureusement, certains ne m’ont pas crue et sont venus me réconforter
J’ai commencé à reprendre mes esprits une heure après mon retour à la maison
Je suis rentrée à 10 h du matin ; Tamar, Yonit et Yfat ne sont arrivées que vers 16 h.
Aujourd’hui, nous sommes mardi et je ne suis toujours pas « rentrée » à la maison.
Je l’ai compris lorsque j’étais au supermarché et que tout mon corps était encore dans la voiture avec Yaël en train d’essayer de rentrer à la maison (du supermarché).
C’est compliqué à expliquer.
Dans la nuit d’hier, me sont revenues toutes les images que « je n’avait pas vues » et je suppose que dans les jours à venir d’autres encore reviendront, à mon grand regret, mais aussi à mon grand soulagement, car peut-être que mon âme commencera à guérir. J’ai envoyé un message à Yaël dimanche matin « Nous sommes en vie » et elle m’a répondu « et à la maison ».
Elle avait raison, ces deux choses n’étaient pas du tout évidentes. Le seul sentiment que je ressens est de la culpabilité (pour tant de choses).
Malgré tout, je suis soulagée que mes filles puissent continuer à grandir auprès de leur mère et de leur père.
La quantité de messages inquiets et d’appels que j’ai reçus m’ont indiqué sans doute possible, de quel enfer nous revenions. Je ne l’ai pas encore complètement réalisé. Je n’ai que de l’amour dans le cœur, pour tous ceux qui étaient à ce festival, pour tous ceux qui en sont revenus ou ne le sont pas et une immense inquiétude pour tous ceux partis nous défendre après cet horrible et incompréhensible événement. J’espère que tout le monde reviendra sain et sauf parce que nous ne pouvons en supporter plus.
Nataly K.